mardi 7 février 2017

L'écriture comme un couteau (2003)

Premier livre relatif à mon thème de lecture pour 2017 (les œuvres d'écrivains qui parlent d'écriture), L'écriture comme un couteau est un entretien d'Annie Ernaux avec Frédéric-Yves Jeannet réalisé par mail entre juin 2001 et septembre 2002.


Au fil des questions de son interlocuteur, Annie Ernaux aborde son parcours de "transfuge de classe", son ressenti de l'écriture, son engagement féministe, les réactions engendrées par ses livres... Une lecture vraiment passionnante, je dois le dire, qui a "éclairé" rétroactivement ma lecture de ses livres. En relisant ma chronique sur Les Années, j'ai par exemple réalisé que j'avais parlé d'expérience "universelle", comme le fait Frédéric-Yves Jeannet, alors qu'elle tient à parler uniquement de "collectif", rien n'étant réellement universel.

En outre, j'avais principalement retenu la souffrance de La Place et Une femme, sans bien me rendre compte qu'Annie Ernaux parle en réalité surtout de son "élévation sociale" et de la manière dont elle l'a ressentie comme une trahison de ses origines. Pas étonnant, dans ce contexte, qu'elle ait soutenu Édouard Louis quand il a sorti En finir avec Eddy Bellegueule, même si je ne me souviens pas des détails (l'a-t-elle présenté à l'éditeur, a-t-elle défendu le livre?).

J'ai été marquée, comme toujours, par le fait qu'elle aborde son avortement avec franchise, et je retiendrai quelques constatations désolantes sur la critique "officielle" face aux femmes écrivains, par exemple la manière de réunir les femmes écrivains dans une catégorie spécifique, comme si la littérature, la vraie, l'universelle (là, universel est bien l'adjectif adéquat), était par nature masculine, ou bien le fait d'appeler l'auteure par son prénom dans un article... (Remarque qui m'a rappelé la lointaine présidentielle de 2007, j'étais tellement énervée que tout le monde parle de "Ségolène" et "Sarkozy"! 😡).

Deux réserves, toutefois, sur ce petit livre. Tout d'abord, j'ai cru détecter une certaine pose d'intellectuel dans certaines réponses; Annie Ernaux se dit très éloignée du monde de l'édition mais on sent bien qu'elle est à l'aise dans les hautes sphères. (Quant à son interlocuteur, n'en parlons pas, il aime clairement s'écouter parler et a une très haute opinion de sa propre culture!) La deuxième réserve concerne le titre, L'écriture comme un couteau. En le lisant, j'ai automatiquement pensé qu'on allait parler de la souffrance de l'écrivain écrivant. En réalité, Annie Ernaux dit que l'écriture est son arme pour réaliser sa recherche. Elle n'est pas blessée par ce couteau mais l'emploie pour disséquer son expérience et le réel. Plus précisément, elle dit: "Et l'écriture, "clinique" dites-vous, que j'utilise, est partie intégrante de la recherche. Je la sens comme le couteau, l'arme presque, dont j'ai besoin". Le titre raccourci m'a semblé, du coup, tenir plus de la phrase-choc...

Mais à part ça, c'était vraiment une lecture très intéressante; je suis beaucoup plus bavarde quand je critique mais cela ne doit pas ternir ce billet, j'ai vraiment aimé lire ce livre. Un seul conseil: je pense qu'il faut connaître un minimum l’œuvre d'Ernaux, ce serait sûrement difficile à suivre pour quelqu'un qui ne l'aurait jamais lue.

4 commentaires:

  1. Intéressant.
    J'aime bien la réflexion sur universel / collectif. Je vais essayer d'y penser.

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    1. :) Oui c'était intéressant. Avec le recul, je me suis dit que c'était bien francocentrique de me dire que son livre était universel, après tout ça ne parlerait pas de la même manière à un Colombien ou même un Français vivant loin de la France. C'est l'histoire et le ressenti collectifs des gens qui ont vécu la même chose qu'elle. :)

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  2. C'est marrant, à chaque fois que je lis un article sur les livres d'Annie Ernaux, ça me donne envie de les lire, sauf qu'à chaque fois que j'en lis, je n'accroche (vraiment) pas au style. Et ça m'embête parce que le fond a toujours l'air hyper intéressant et du coup ça me frustre parce que je n'arrive pas à passer outre.

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    1. C'est vrai qu'elle a aussi un ton très particulier, qu'on pourrait trouver froid ou au contraire un peu égocentrique (en mode je suis trop malheureuse quoi, pour caricaturer). Mais c'est dommage, ses livres sont tout petits, c'est vite lu :p

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