mercredi 1 mai 2013

Pertinentes considérations sur les dadas

En survolant mon ancien blog pour récupérer le billet dans lequel j'expliquais que je rêvais de revoir Jurassic Park au cinéma, je suis tombée sur un très long billet sur l'équitation qui m'avait été inspiré par un extrait de Psychanalyse des contes de fées. Si toutes les "articulations logiques" de ce billet ne sont pas forcément très claires pour le lecteur, il me semble néanmoins que j'avais soulevé des points intéressants. Je vous le repropose donc, trois ans plus tard, suivi d'un billet de mise à jour que j'avais rédigé suite à une remarque dans les commentaires.

Attention: Comme c'est vraiment très long, je ne vais pas laisser l'ensemble du message s'afficher, il faudra cliquer pour tout lire!

Si quelqu'un tient une réponse pertinente aux questions "Pourquoi les femmes adorent-elle les chevaux?" et "Pourquoi les hommes ont-ils déserté les centres équestres?", je serai très intéressée! :)


Billet du 17 juin 2010: To Dada or not to be

"De nombreuses petites filles d'un groupe d'âge plus avancé sont très intéressées par les chevaux ; elles jouent avec des chevaux-jouets et tissent autour d'eux des fantasmes compliqués. Lorsqu'elles sont plus âgées, si elles en ont l'occasion, leur vie semble tourner autour des vrais chevaux ; elles s'en occupent très bien et semblent incapables de s'en passer. Des recherches psychanalytiques ont révélé que cet engouement excessif pour les chevaux peut compenser certains besoins affectifs que la fille essaie de satisfaire. Par exemple, en contrôlant cet animal puissant, elle peut parvenir au sentiment qu'elle contrôle le mâle, ou l'animalité qui est en elle. Il est facile d'imaginer ce que ressentirait une jeune fille qui prend un grand plaisir à monter à cheval, et ce qu'elle ressentirait dans son amour-propre, si on la rendait consciente du désir qu'elle extériorise en s'adonnant à l'équitation. Elle serait accablée, dépossédée d'une sublimation innocente et agréable, et passerait à ses propres yeux pour un être dépravé."
 Bruno Bettelheim
Psychanalyse des contes de fées (1976)
Traduction de Théo Carlier

Vous devinerez aisément, je pense, que je trouve ce point de vue extrêmement réducteur.

L'équitation est actuellement un sport de filles, c'est un fait. En France, les trois quarts des cavaliers sont des filles de moins de 18 ans. Moi-même, j'ai monté à poney de mes 6 à mes 10 ans, puis à cheval de mes 12 à mes 16 ans. J'ai longtemps été assez perplexe face à cet état de fait.

En fait, je comprends assez aisément que les cavaliers abandonnent aux alentours de l'âge de 18 ans : la vie change, on peut être amené à faire des études loin de la maison et de son club, les parents peuvent refuser de continuer à financer seuls un sport coûteux... Et les études se font plus prenantes, il devient plus difficile de passer ses journées au club. Ensuite, quand on entre dans le monde du travail, il faut sérieusement s'accrocher pour aller monter son cheval tous les soirs après avoir passé la journée au bureau.

Par contre, le fait que les garçons ne s'intéressent pas à ce sport me laisse plus perplexe. C'est eux, justement, qui pourraient avoir envie et/ou besoin de se faire mousser en montant sur de grands chevaux (oui, il y a un petit jeu de mots ici...), symboles de puissance... On cible encore un public masculin et on nous vend encore des motos et des voitures en faisant des références expresses au monde du cheval, ce qui me laisse croire que les hommes sont très sensibles à ce symbole. Il me semble par contre qu'on utilise moins ce symbole dans les pubs visant un public féminin.

Or donc : Bettelheim n'a pas tort sur certains points. Parmi les ados que j'ai connues (ou dont j'espionne actuellement les blogs), certaines se comportent avec leur cheval, ou leur cheval de club préféré, comme avec une poupée géante. Elles lui achètent des crèmes et des shampoings, elles en prennent soin à l'infini, elles le peignent, elles lui achètent des protections, des bandes et du matériel assorti. Le cheval, habillé en rose ou en chocolat-bleu ciel, ressemble à une gravure de mode. C'est un comportement tellement répétitif (et inutile au-delà d'un certain point) qu'il m'a déjà amenée à me questionner. (Mais n'oublions pas que le but principal du pansage --l'action de brosser longuement son cheval-- est de s'assurer qu'il n'est pas blessé et de retirer les saletés qui pourraient occasionner des blessures, par exemple en frottant contre la peau du dos sous la selle. C'est une étape indispensable.)

Un autre point : dans certains cas, le cheval semble remplacer l'homme, mais pas au sens où l'entend Bettelheim. Je lis régulièrement sur certains blogs de grandes déclarations d'amour : mon cheval est l'amour de ma vie, il est ma raison d'être, je ne pourrais pas vivre sans lui. [J'indiquerai ici qu'on a beau être convaincus d'être incapables de vivre sans une personne donnée, au final bien peu de gens suivent l'exemple de Roméo et Juliette... On trouve tous un moyen de faire sans !] Célibataires ou pas, ces jeunes filles vivent quelque chose de puissant du point de vue affectif. Là aussi, je me suis déjà questionnée sur cet amour infini et passionné, que j'ai déjà éprouvé plusieurs fois.

De là à croire que l'on contrôle le mâle... Il faudrait déjà contrôler quelque chose quand on se trouve en selle, ce qui n'est pas toujours le cas ! D'une part, les cavaliers commencent tous par une longue période de sac à patates, pendant laquelle leurs montures les trimbalent : on se fait mal aux fesses, on est courbaturés, on se fait engueuler et on arrive à rien, mais certains persévèrent tout de même. Penser que l'équitation est un sport agréable (et qui permet de "maîtriser" un animal de 400 kilos minimum) dès le premier jour indique tout simplement, à mon avis, qu'on n'a jamais pratiqué ce sport. D'autre part, une fois dépassé ce stade, le but de l'équitation n'est pas de maîtriser le cheval. Il faut le canaliser, certes, et faire en sorte que son énergie se déverse dans l'exercice en cours et pas dans une série de coups de cul joyeux mais dévastateurs pour l'équilibre du cavalier... Mais il s'agit avant tout de parler le même langage et de progresser ensemble dans le travail et la complicité.

Certes, le cheval est un animal puissant. On monte sur 400 ou 500 kilos de muscles. Certes, il y a une adrénaline incroyable lorsque l'on sent ces muscles et cette volonté d'avancer, lorsque le cheval, pendant une seconde ou deux, tente de s'échapper, lorsque l'on sent la vitesse dans un virage ou le basculement d'un saut. Mais il y a aussi le reste : l'entente avec un animal qui a son caractère, qui est malin, espiègle ou patient, gourmand ou curieux, et qui nous surprendra toujours. Qui a aussi ses hauts et ses bas, comme tout le monde, et qui a parfois trop chaud pour faire un travail intense, ou trop d'intérêt sur ce qu'il se passe autour de lui pour se concentrer sur son travail. Il y a aussi -- et c'est peut-être la satisfaction principale -- le chemin que l'on parcourt ensemble. On découvre petit à petit un cheval donné, on comprend comment il fonctionne, quelles sont ses habitudes, et au bout d'un certain temps on peut adapter sa manière de monter pour réussir les exercices du jour. On travaille toujours en fonction du cheval. Avec la petite F., toujours speed, que je n'arrivais pas à garder au galop pendant plus d'un tour de manège, j'ai réussi un beau jour à me tenir suffisamment décemment en selle pour qu'elle ne retombe pas dans un grand trot désordonné au bout de deux secondes ; ce n'est bien évidemment pas elle qui s'est adaptée à ma manière quelque peu instable de monter : c'est moi qui ai "trouvé le bouton", qui ai réussi à parler sa langue suffisamment bien pour qu'elle fasse ce que je lui demandais.

Je pense que c'est peut-être une des raisons pour lesquelles les filles se tournent plus facilement vers l'équitation. Il faut une patience pour ce sport que beaucoup de garçons, hyperactifs et plutôt obsédés par les motos et les voitures de course, ne sont pas en mesure d'avoir. C'est plus facile d'apprendre à conduire une moto : pas de risque qu'elle refuse de faire ce que vous lui demandez, pas de risque qu'elle fatigue au bout d'une heure de travail intense...

Pour en revenir à Bettelheim : non, je ne pense pas être tombée amoureuse des chevaux uniquement pour maîtriser leur puissance musculaire et, symboliquement, maîtriser le mâle qui me terrifiait. (D'ailleurs, si c'était le cas, ma terreur actuelle de l'équitation symboliserait-elle une terreur maladive du mâle, alors même qu'il n'est plus un mystère comme il pouvait l'être quand j'avais 12 ans...?) Je pense être tombée amoureuse de leur beauté avant tout, puis de leur dignité et de leur liberté.

Une autre preuve que la pratique de l'équitation ne se limite pas à la maîtrise des muscles, c'est que beaucoup de personnes se contentent d'acheter un petit cheval rachitique ou, au contraire, un peu enveloppé, et de partir tranquillement en ballade. C'est ce que je pense faire un jour. Je veux juste trouver un cheval sympa, qui me rendra heureuse et que je serai en mesure de rendre heureux également, et qui soit suffisamment dynamique pour galoper dans les champs et sur la plage avec une envie de vivre certaine.

C'est bien cela que font les chevaux au final : ils nous font vivre. Les meilleurs moments de ma vie, je les ai passés seule avec un petit cheval sympa, dans la forêt au bord de la mer. On était bien ensemble et je ne me suis jamais sentie aussi libre. Il fallait rentrer à l'écurie au bout d'un moment, certes, mais ces moments de solitude étaient des moments de pur bonheur et de liberté absolue.

Un autre point : comme tous les animaux, les chevaux ne jugent pas. Ils nous prennent comme on est, tant qu'on a la politesse de ne pas leur casser le dos et de ne pas leur arracher les dents. Impossible de mentir ("On est nus, et il faut accepter d'être nus pendant un bon moment...") :  ils sauront toujours, parfois mieux que nous, si on est inquiets ou affolés.

Pour ajouter un côté idéaliste à cette réflexion, je vous suggère d'aller jeter un coup d'œil à cette vidéo. Le message est un tantinet trop pessimiste envers l'équitation classique et un tantinet trop optimiste envers l'équitation "naturelle", mais je finis toujours en larmes lorsque je la regarde, et je pense qu'elle véhicule le message que j'ai essayé d'exprimer ici : monter à cheval n'est pas une question de maîtrise mais d'entente et de liberté.

Avec de telles convictions, je me demande moi-même comment je peux survivre loin des dadas !


Billet du 19 juin 2010: To Dada or not to be (2)

Petite mise à jour sur mon billet sur l'équitation, sport féminin par excellence. On me fait remarquer dans un commentaire qu'il existe aussi des cavaliers hommes, comme Éomer (Kaaaaaaaarl !!!). Pas faux. En fait, l'histoire et les romans en sont remplis. Pensez aux quatre mousquetaires et aux grands tableaux des souverains du passé, toujours en selle sur un magnifique cheval cabré... Pensez au puissant cheval blanc de Gandalf, à Black, l'étalon noir d'Alec, et au tableau de Napoléon à Austerlitz ! Effectivement, historiquement, l'équitation était plutôt réservée aux hommes. Les hommes riches allaient à cheval, les femmes riches allaient en carrosse (ou se faisaient porter par leurs esclaves, selon l'époque). Bien sûr, il existait aussi la monte en amazone, mais il me semble raisonnable de dire que 90 % des cavaliers étaient des hommes.


Maintenant, c'est l'inverse :  en 2009, 79,5 % des affiliés à la Fédération française d'équitation  (la FFE - clin d'œil à certaines lectrices !) étaient des femmes. Comment --et pourquoi-- est-on passé d'un extrême à l'autre en 50 ans ? Pourquoi les hommes semblent-ils s'être enfuis ? Entrez dans n'importe quel centre équestre, rendez-vous dans n'importe quelle manifestation équestre... Il y en a bien peu, des hommes. Par contre, l'égalité des sexes se maintient un peu plus équitablement parmi les enseignants et les propriétaires. Disons qu'il y a une marée de jeunes cavalières, parmi lesquelles chasse un faible nombre de jeunes cavaliers, mais que le pourcentage d'hommes remonte dans certaines situations. Par contre, les cours d'équitation pour adultes sont aussi composés en grande majorité de femmes... des mamans qui reprennent le cheval en même temps qu'elles font monter leurs enfants à poney.

Cela rejoint mon billet précédent : peut-être que cette évolution est liée à l'évolution même de l'idéal de l'équitation. Le but n'est plus de faire appel à la violence pour terroriser un animal, mais de progresser avec un compagnon :  les brutes du passé ont été remplacées par les cavalières attentionnées du présent. Ceci dit, j'ose croire qu'il y a toujours eu des gens pour comprendre qu'on obtient de meilleurs résultats avec le temps qu'avec la cravache... Et je ne comprends pas vraiment pourquoi, en 2010, un jeune garçon de 15 ans, ou un jeune homme de 25 ans, pourrait ne pas avoir envie de monter à cheval sans cravache et sans éperons :  l'adrénaline est toujours là, dans la vitesse et le saut.

Peut-être, malheureusement, que l'équitation est désormais cataloguée comme "un sport de filles" et que les hommes n'ont pas envie de s'entourer de camarades filles uniquement. Comme me le disait un jeune homme il y a quelques jours, "Dans une famille, le petit garçon joue au foot et la petite fille elle monte à cheval..."

5 commentaires:

  1. Eh bien ça c'est du billet ^^
    Ce qui est très paradoxal dans le monde de l'équitation, c'est que si la majorité qui monte sont des femmes, la majorité qui sont en concours équestres sont des hommes .... Certes à présent cela s'équilibre plus (surtout en dressage et CSO) mais en cross et surtout en courses, il y a essentiellement des cavaliers masculins ....
    Il y a là quelque chose à creuser dans la volonté de la plupart des femmes de partager quelque chose avec un animal et des hommes d'aller en compétition ....sans en arriver au réducteur non plus comme l'a si bien fait Bettelheim ..... En même temps il y aurait beaucoup à dire aussi sur les psychanalystes hommes, xd.
    Bon en tout cas perso je n'aime pas monter à cheval pour le plaisir de maitriser une animalité de 400.500 kilos, il suffit que la bête décide d'en faire qu'à sa tête pour embarquer n'importe qui, nous sommes peu de choses face à une puissance pareille ... (homme comme femme d'ailleurs)
    Alors que comprendre, avoir une relation d'amitié avec un cheval, voilà un enjeu bien plus palpitant et intéressant que contrôler un mâle ^^

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    1. Ta remarque sur la majorité de femmes vs la majorité d'hommes en concours, c'est quelque chose que je me suis déjà dit aussi. J'ai écrit un jour chez Cachou que trois des "milieux" que je connais (ou ai connus) de près, c'est-à-dire la traduction, l'équitation et le livre, sont des milieux super féminins à la base, mais de plus en plus masculins au fur et à mesure que l'on monte vers les postes prestigieux ou à responsabilité. C'est un état de fait navrant.
      D'accord avec toi pour la conclusion :)

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  2. Bel article !

    Je n'ai pas plus d'explication que toi. Tous les sports demandent de la rigueur pour les apprendre. Un garçon qui est passionné de foot il va en baver pour arriver à bien jouer. Et on peut tout à fait monter à cheval sans avoir envie de pouponner sa monture : le pansage peut rester un acte de préparation comme on va au vestiaire enfiler son maillot de foot.

    Bon sinon on va dire que c'est une belle revanche des femmes sur les hommes : voilà une activité historiquement masculine qu'elles se sont tellement bien réappropriée que les hommes l'ont désertée XD

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    1. Ha sinon j'oubliais : cette sensation de "trouver le bouton", c'est une des sensations équestres que je préfère (le sentiment de liberté lors d'un long galop ou d'un galop plein pot venant juste devant).

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    2. J'adore ton idée de revanche! :)
      Et quelle merveille, ce commentaire sur les sensations équestres. Le rêve!! :)

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